Ce que pense Larabi Jaidi sur la réforme du secteur public

Membre du conseil d’administration de Bank Al Maghrib et de la Commission spéciale sur le modèle de développement, Larabi Jaidi intervient ici en tant qu’économiste et chercheur principal au Policy Center for The New South.
Le sujet de la réforme du secteur public est un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, car il a longuement travaillé sur ce thème, notamment au sein de la Fondation Abderrahim Bouabid.
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Comment cette réforme devrait-elle se dérouler ? Que pense-t-il du régime adopté par le Le ministère des Finances ? Cette réforme doit-elle aller dans le sens d’un renforcement ou d’un allégement du poids de l’État dans l’économie ?
Dans cette interview, M. Jaidi répond à toutes ces questionne et réagit à certaines craintes qui commencent à émerger, notamment chez les opérateurs du secteur privé qui craignent que cette réforme n’entraîne la création de mastodontes publics qui domineraient le marché.
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Une crainte que M. Jaidi juge légitime, cette cette réforme, qui vise à regrouper les institutions publiques en sociétés holding sectorielles, doit être menée parallèlement à une réflexion sur le rôle de l’État régulateur. Sinon, l’État risque de renforcer les contradictions dans lesquelles il est plongé depuis de nombreuses années.
Contradictions entre un État producteur de normes et un État actionnaire d’entités de production qui opèrent selon la logique du marché dans des secteurs concurrentiels.
Comment regrouper les publics sans créer de distorsions, monopoles ou placer l’État en position dominante qui entraverait le bon fonctionnement de l’économie ? Parlez à la partie intéressée.
— Medias24 : Vous travaillez depuis de nombreuses années sur ce thème de la réforme des institutions publiques. Un sujet d’actualité aujourd’hui avec le projet lancé par l’État pour restructurer le portefeuille public. Que pouvez-vous nous dire en premier lieu sur l’importance de ce projet ?
— Larabi Jaidi : Il s’agit d’un projet extrêmement crucial et important pour le Maroc. Nous sommes dans une phase où nous nous interrogeons sur les grandes orientations d’un nouveau modèle de développement. Dans cette réflexion, l’action de l’État est déterminante tant dans la définition des grandes orientations des politiques publiques que dans leur mise en œuvre. L’État a également un grand poids dans notre économie par le biais du secteur public. Compte tenu du poids économique de l’État dans la production et le service public, il est inimaginable de changer notre modèle sans cet acteur important qu’est le secteur public.
— Selon vous, cette réforme doit-elle aller dans le sens d’un renforcement du poids de l’État dans l’économie ou d’une réduction de son poids ?
Lorsque l’on fait cette réflexion sur l’État, on dit souvent qu’il faut renforcer son rôle, son poids, son action… Mais avoir un état fort ne signifie pas nécessairement que cet état a un certain poids, mais qu’il est avant tout efficace. L’État doit être fort par son efficacité, par la qualité de son intervention en tant que régulateur, source de régulation, mais aussi en tant qu’acteur économique par le biais des dépenses budgétaires et du secteur public.
La question de la réforme du secteur public n’est pas nouvelle. Il y a eu plusieurs tentatives remontant aux années 1970 et 1980, mais nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle phase qui, je l’espère, devrait marquer un tournant point. Et le contexte est également différent, car le secteur public se trouve dans une situation difficile, composé d’un ensemble très vaste et hétérogène.
« Est-ce que c’est cette hétérogénéité qui est le problème, selon vous ? »
Le problème est que ce portefeuille hétérogène a été construit sur une longue période sans cohérence globale. Il y a évidemment eu des entrées et des sorties dans ce secteur. La privatisation a été, par exemple, un moment d’allégement du poids du secteur public, mais ces dernières années, de nouveaux établissements ont également été créés.
La privatisation n’a pas été un mouvement irréversible. Cela a permis le retrait de l’État de certains secteurs, mais cela ne l’a pas empêché d’être toujours présent et de renforcer son poids dans d’autres activités. Le portefeuille du gouvernement change, mais il n’est pas très mobile. C’est pourquoi nous essayons aujourd’hui de réfléchir à la façon de le redimensionner, de l’alléger, peut-être en confier certains établissements au secteur privé ou les reconvertir dans leur mission et leur action.
L’État est juge et partie dans certains secteurs. Et c’est un problème.
Les performances des institutions publiques rendent également cette réforme complexe. Les résultats financiers sont mitigés, mais globalement dégradés. Il existe des entreprises qui se gèrent de manière autonome, qui génèrent même des excédents pour l’État. Mais ces dernières années, il y a eu une certaine détérioration, passant de la performance financière globale du secteur public à une baisse de la rentabilité globale du portefeuille de l’État. Le budget de l’État est donc constamment appelé à contribuer à l’équilibre financier de certaines institutions et à les soutenir dans leurs besoins de développement et d’investissement.
— Comment expliquez-vous la piètre performance des entreprises publiques, dont certaines opèrent dans des secteurs de marché où le secteur privé parvient à générer des rentabilité ?
Peut-être est-ce parce que l’État ne leur a pas donné toute la marge de manœuvre pour aller chercher de l’argent ailleurs ou pour profiter des opportunités de marché qui se présentent. Pour avoir cette possibilité, ces établissements doivent se restructurer en sociétés anonymes, par exemple. Les entreprises qui ont connu le plus de succès sont celles qui ont connu ce changement de statut juridique.
— Comme l’OCP par exemple, qui est aujourd’hui donné comme modèle dans la gestion d’un établissement public…
Il me semble qu’il s’agit d’un modèle dans la restructuration, dans le développement, dans la stratégie menée, mais aussi dans les mécanismes de gouvernance et de transparence de sa politique et dans le respect de ses engagements financiers… Il y a des leçons à tirer des meilleures pratiques de certaines institutions. Et l’OCP est bel et bien un modèle. Mais pour cela, l’État doit d’abord mettre fin à un certain nombre de contradictions dans la gestion de ces institutions.
— De quelles contradictions faites-vous allusion ?
La première des contradictions est cet état multipartite, cet état aux rôles multiples. C’est un producteur de biens et de services par l’intermédiaire de ces institutions publiques, il a un rôle de service public, mais c’est un État qui est également un régulateur, qui produit les règles de fonctionnement sur les marchés et les secteurs dans lesquels ces institutions publiques opèrent.
— Nous avons donc un État qui est juge et parti dans l’économie…
Il est effectivement juge et partie dans certains cas. Et c’est un problème.
— Et parfois, il est même en concurrence avec le secteur privé, certains parlent même de concurrence déloyale dans certains secteurs…
Disons que l’État ne produit pas de règles et de normes visibles et claires pour tous les acteurs à long terme. UN l’État n’est pas seulement un producteur de biens et de services et un organisme de réglementation, il est à la fois un producteur de biens et de services. Mais il ne peut pas être dans une logique où il est à la fois le producteur du standard et un acteur. C’est un problème. C’est un conflit d’objectifs qui soulève la question de savoir ce que nous recherchons dans le secteur public. Essayons-nous simplement de développer un secteur donné par le biais d’un établissement qui représente l’État dans ce secteur ou essayons-nous de développer un territoire ? La fonction territoriale des institutions publiques est très importante.
La double surveillance des entreprises publiques est source de confusion. Nous devons clarifier la relation entre l’État et l’entreprise publique.
Les entreprises publiques sont très présentes dans les territoires à travers de nombreux programmes, que ce soit dans les infrastructures, le rail, les ports, l’électrification… Ce secteur joue un rôle d’aménagement du territoire. Mais il y a parfois des conflits d’objectifs, puisque nous voulons des entreprises efficaces, mais sans leur donner le la latitude de gérer de manière indépendante leurs recrutements ou leur personnel. Les entreprises publiques sont des emplois directs et créatifs. Parfois, la rationalité de leur fonctionnement les amène à gérer leur masse salariale selon certaines normes qui ne sont pas celles imposées par l’État.
Aujourd’hui, l’État actionnaire doit trouver des réponses à tout cela et résoudre ces contractions.
— Ne demandons-nous pas trop de fois aux institutions publiques ? Exemple d’ONCF, qui est une entreprise qui travaille dans un secteur commercial, mais qui est également considérée comme une locomotive de développement national et territorial, un acteur logistique qui participe à l’émergence d’une industrie moderne… Demandez-lui d’investir dans des projets tels que TGV, qui ne sont peut-être pas rentables, mais qui créent un attrait pour que l’IED puisse s’articuler avec les objectifs de performance et d’autonomie financière qui lui sont assignés ?
C’est là l’une des contradictions dans la relation entre l’État et le établissement public. L’établissement public doit porter une stratégie, une vision de l’État. Cette mission doit toutefois être claire sur le fait qu’elle n’est pas sujette à des changements ou à une instabilité dans la façon dont elle est mise en œuvre. Et c’est là le rôle de l’État actionnaire.
Il est bien entendu tout à fait normal que l’État dise que pour le développement du pays, je dois faire un choix dans le secteur ferroviaire, l’étendre à d’autres régions ou le moderniser en fonction des développements technologiques. C’est légitime. Mais il ne doit pas s’agir d’une directive, mais faire l’objet d’une consultation basée sur ce que l’entreprise peut prendre en charge, non seulement en termes de gestion, mais aussi en termes d’avenir du secteur dans lequel elle opère.
C’est là que la notion de contrat d’établissement public entre en jeu. Si l’État estime que, pour des raisons stratégiques, d’innovation technologique ou de considérations sociales, un établissement public doit réaliser un certain nombre de missions, il doit lui donner les moyens de les réaliser. Et cela doit se faire dans un cadre contractuel où l’entreprise s’engage à atteindre les objectifs que l’État peut lui dicter, mais en retour, l’État doit assumer ses responsabilités en finançant ses engagements.
C’est cette relation entre l’État et les institutions publiques, qui passe par un autre niveau qui est celui des ministères, qui doit être clarifiée aujourd’hui.
Les institutions publiques sont placées sous une double supervision, celle de leurs ministères de tutelle et celle du ministère des Finances, garant de la stabilité financière et de la bonne gestion des dépenses publiques.
Cette double tutelle pose également problème, car elle crée souvent une confusion entre l’actionnariat et la tutelle. L’État est certainement actionnaire. Mais la tutelle doit être exercée par l’intermédiaire d’un conseil d’administration qui a des pouvoirs dans la définition de la stratégie, son soutien. Ce contrôle doit être un mécanisme de consultation et non un mécanisme de exercer un pouvoir ou un contrôle sur un établissement public.
— Vous mettez ici le doigt sur un problème dont souffrent de nombreux gestionnaires d’institutions publiques. Les dirigeants qui ont des ambitions pour les entreprises qu’ils dirigent mais qui sont entravés dans leur action par cette supervision ou par les différents contrôles exercés par les Finances ou la Cour des comptes et qui les empêchent, sous prétexte de respecter les lois et les normes, de saisir des opportunités de marché, étant agiles, surtout lorsqu’ils opèrent sur des marchés concurrentiels. Un problème qui pousse plusieurs managers à l’inaction comme moyen de gérer…
Ce problème se pose en effet. Mais il existe différents cas de figure. Dans certains cas, les dirigeants des institutions publiques sont beaucoup plus puissants que leurs ministères de tutelle. C’est une réalité. Un établissement public est-il censé appliquer une politique ministérielle ? La réponse est oui, bien entendu. Parce que le ministère est le porteur de la vision, de la stratégie, de la politique du pays dans le secteur.
Il y a des administrateurs qui ne deviennent pas des gestionnaires d’intérêt public, mais féodaux, parce qu’ils n’ont pas le bon profil
Mais le problème réside dans la manière dont se déroule le dialogue entre le ministère et l’établissement public. Les conseils d’administration de plusieurs institutions sont inefficaces, tant dans leur composition que dans leur mode d’intervention. Cela produit des situations de tension entre le gestionnaire qui connaît mieux le marché dans lequel il évolue et est plus conscient des changements qui opèrent et qui a besoin de rapidité dans la prise de décision, et des ministères qui sont en logique bureaucratique, logique du pouvoir, contrôle…
— Plusieurs dirigeants d’entreprises publiques se plaignent du mode de contrôle des finances, qui est davantage axé sur le contrôle comptable des dépenses, avec des normes souvent assez rigides, sans payer trop d’attention portée à la stratégie, aux opportunités de marché… Les dirigeants ont été punis parce qu’ils ont osé s’aventurer dans des domaines que les contrôleurs financiers jugent interdits, non pertinents pour leur mission… Qu’en penses-tu ?
Ce contrôle est exercé par le DEPP sur la base de normes de gestion des dépenses publiques. Mais cela ne se fait pas dans le sens d’un questionnement de l’entreprise sur sa stratégie. Et lorsque le contrôle porte sur la stratégie, c’est souvent pour guider la décision de l’entreprise ou ses choix.
Dans la logique du ministère des Finances, l’entreprise publique est censée contribuer au budget de l’État. Cette demande de générer des excédents, de partager des dividendes, est parfois source de tensions. C’est la logique financière qui prime. Et cela entrave parfois l’action de l’entreprise publique et la saisie des opportunités de marché.
Pour les infrastructures et les transports, par exemple, vous pouvez vous rendre dans un holding regroupant ONCF, ADM, RAM et SNTL. Mais ce n’est pas aussi simple que nous le pensons.
Cela dit, l’entreprise publique est une tutelle, des normes, des lois… mais c’est aussi des hommes. Et tout dépend de la capacité des dirigeants à transformer leur établissement en locomotives et à convaincre leur tutelle des choix qui ont été faits. Il y a bien sûr la réalité des textes, la logique bureaucratique, mais il y a souvent des problèmes d’hommes.
Nous avons connu des situations où les administrateurs ne deviennent pas des gestionnaires d’intérêt public, mais féodaux, parce qu’ils n’ont pas le bon profil et sont nommés sur la base de considérations autres que l’efficacité et la compétence.
— Le plan de réforme proposé aujourd’hui commence par la création d’une agence qui portera les participations de l’État, et par la création de pôles publics homogènes en fusionnant des institutions susceptibles de présenter des complémentarités ou des synergies. Que pensez-vous de ce schéma ?
Par l’intermédiaire de l’Agence, il ne s’agit pas simplement de répondre à l’évolution du secteur public et à sa rationalisation qui se pose. Mais le plus important, c’est la doctrine que porte cette agence.
Le texte de la loi a été suffisamment clair pour préciser quels sont les grands principes sur lesquels sera construite cette agence, ses missions dans la rationalisation de la gestion des institutions publiques, leur concentration sur leur cœur de métier et l’encouragement à l’émergence de modèles sectoriels efficaces.
La formule qui a été trouvée est de regrouper le public entreprises en sociétés holding sectorielles homogènes. Cela suppose de fusionner certaines entreprises ou de trouver des modalités pour des alliances. Tout dépend des secteurs concernés.
Pour les infrastructures et les transports, par exemple, un peut aller dans un holding regroupant l’ONCF, l’ADM, le RAM et le SNTL, dont les missions en infrastructures, en transport et en logistique semblent complémentaires. Mais ce n’est pas aussi simple que nous le pensons.
Dans le passé, nous avons eu l’exemple de l’ONEE. La fusion de ONE et ONEP a été un défi extrêmement délicat à mettre en place, et cela a pris beaucoup de temps. Même si nous sommes liés secteurs — c’est le cas de l’eau et de l’électricité, et c’est également le cas du transport ferroviaire, autoroutier et aérien et de la logistique — il s’agit encore de professions différentes, de technologies différentes, de visions différentes et de différentes manières d’organisation.
La question à poser doit se rapporter à l’objectif de ces groupes. Parce qu’ils ne devraient pas se faire simplement pour des raisons financières, en regroupant des sociétés rentables avec d’autres sociétés déficitaires, par exemple, pour équilibrer l’ensemble. Ce n’est pas le financier qui doit avoir la priorité. Il faut bien sûr en tenir compte, mais c’est avant tout l’homogénéité de l’action et la synergie créée qui doivent être l’objectif ultime.
Le Conseil de la concurrence doit être en mesure de donner son avis sur les abus éventuels, les accords qui peuvent être créés et tous les aspects susceptibles de fausser l’accès.
Si je considère, par exemple, que l’ONCF et le SNTL peuvent faire ressortir des points de convergence, la logistique n’étant finalement qu’un espace, une chaîne de valeur dans les métiers du transport, il faut également savoir que la logistique n’a pas qu’un seul mode de déploiement dans la chaîne de valeur, puisqu’elle utilise également le TIR, le maritime, l’air. Il s’agit d’un canal multiple.
Le rapprochement entre l’ONCF et ADM semble également difficile à concevoir si l’on considère l’expérience française sur le terrain, qui ne va pas dans le sens de la création d’une holding. Depuis, la SNCF a conservé son autonomie alors que les autoroutes se sont tournées vers le privé.
Ces types de rapprochements peuvent être intéressants en termes de gains financiers, mais il faut être extrêmement prudent dans leur mise en œuvre. Ils peuvent également être intéressants en termes de synergies à déplacer vers un plus grand contrôle de la chaîne de valeur, entre l’amont et l’aval, mais il sera nécessaire de prendre en compte le métier qui peut être extrêmement différent d’une entreprise à l’autre même si elle opère dans le même secteur.
Ce qui m’inquiète, c’est que nous nous dirigeons vers une logique purement financière, sans articulation avec la vision à moyen et long terme du développement de ces entreprises et le lien qui existe entre ces groupements et les différentes politiques sectorielles promues par l’État.
— Ces groupes en cours de préparation créeront des mastodontes publics dans différents secteurs. La taille de ces installations publiques ne risque-t-elle pas de créer des distorsions sur le marché ?
Si nous allons dans une logique de regroupement, cela ne doit pas être fait pour créer des mastodontes. Et encore moins pour apporter une réponse à la situation des ressources financières des entreprises publiques. Ces holdings doivent être conçus comme des pôles de performance ne garantissent pas simplement la synergie, mais sont conformes aux politiques sectorielles du pays. Et en même temps être des acteurs du développement sur les marchés où ils sont implantés, sans entrer dans une logique de monopole, de quasi-monopole ou de position dominante.
Dans certains cas, nous pouvons accepter cette position dominante. parce que nous avons besoin pour certains secteurs d’une locomotive solide. Mais cette domination ne doit pas aller à l’encontre des règles d’une concurrence saine et loyale. Cela suppose que la question de la réglementation soit réglée.
Dans les énergies par exemple, nous sommes dans une logique de concrétisation d’une politique étatique, mais c C’est aussi un secteur ouvert au secteur privé. La question est de savoir comment ce secteur devrait être réglementé par un agent autonome, indépendant de l’État, qui n’agit pas uniquement dans l’intérêt du secteur public.
Pour financer le développement territorial, il faut penser à créer une banque territoriale.
Vers des avoirs solides et efficaces, oui. Ils peuvent être en position dominante dans certains cas, mais cela ne crée pas d’abus ni de distorsions sur le marché. C’est pourquoi il est nécessaire d’accompagner cette politique de groupement par une réflexion sur les modalités de régulation et un contrôle transparent des règles de concurrence.
Et je pense ici au Conseil de la concurrence, qui doit être en mesure de donner son avis sur d’éventuels abus, sur les accords qui peuvent être créés et sur tous les aspects susceptibles de fausser l’accès au marché ou mettre des obstacles à l’entrée pour les nouveaux joueurs.
À mon avis, ce sont les deux conditions nécessaires pour que la consolidation, au-delà de la cohérence du portefeuille de l’État, puisse réussir.
— Selon vous, quels sont les secteurs où cette logique de regroupement peut être la plus pertinente ?
Le financement. C’est un point qui me semble important, notamment en ce qui concerne le financement des politiques territoriales. Nous constatons dans ce registre un manque d’utilisation rationnelle de la ressource disponible. En matière de développement territorial, il y a Al Omrane, holding qui se charge de l’aménagement du territoire et du développement immobilier, la CDG qui est le bras financier de l’État dans la planification des territoires, le soutien de nouvelles villes, le développement de terrains publics ou industriels, par le biais de MEDZ. À côté de ces deux acteurs, nous avons la FEC, qui soutient les autorités locales dans le financement de leurs projets.
Il est temps de réfléchir à la façon dont vers une institution financière unique, une banque de territoires. C’est un endroit où cette question de regroupement en une société holding performante et efficace est la plus nécessaire à mon avis.
— L’État est également actionnaire de plusieurs banques, par le biais de participations héritées de l’ancien OFS. Pouvons-nous imaginer un regroupement de toutes les banques où l’État est présent dans une structure publique unique qui, avec une certaine taille, peut être critique pour financer le développement économique et territorial ?
C’est un thème de réflexion. J’ai pris le cas qui me plaît le plus, celui du développement territorial et du financement, d’autant plus que nous sommes entrés dans un processus de régionalisation plus avancé avec la volonté d’équilibrer et de réduire les inégalités entre les régions.
Le secteur de la banque privée n’étant pas très décentralisé et n’étant pas très impliqué dans le financement des collectivités locales et régionales, il est temps de réfléchir à comment les régions peuvent être soutenues par les institutions financières dans leur mission de développement.
Si nous voulons construire de véritables champions nationaux, nous devons d’abord nous orienter vers la création de sociétés de taille intermédiaire, en soutenant le transfert de capitaux dans la société marocaine.
Il y a également cet héritage, cette dispersion de la participation de l’État dans le secteur bancaire qui peut être une solution. Mais parfois, les banquiers sont très jaloux de leurs institutions. Comment se rendre dans une banque publique ? La CDG devrait-elle prendre la tête de ce groupe ? La réflexion mérite d’être lancée, d’autant plus que jamais besoin d’une grande banque publique de développement, qui finance l’économie, les PME, mais qui sert également de levier au développement des territoires.
— Le Maroc a connu au début des années 2000 une vague de regroupements dans le secteur privé, avec une logique de création de champions nationaux capables de piloter le développement du pays. L’État ne répéte-t-il pas cette expérience aujourd’hui, mais par l’intermédiaire du secteur public ?
Un État a besoin de champions nationaux. Cela fait longtemps que cela soulève la question de la création de champions dans certains secteurs stratégiques ouverts à la concurrence mondiale. Mais nous devons d’abord nous mettre d’accord sur la définition et le rôle d’un champion national.
Dans ma conception des choses, un champion national doit être une structure qui possède une grande surface financière et une large capacité d’intervention dans l’économie nationale, mais aussi être un vecteur d’influence au niveau international, pour amener le pays dans sa compétitivité à la fois sur son marché national et international.
Mais si je vois le paysage au Maroc, à part OCP qui est une véritable entreprise multinationale, qui crée de la valeur industrielle, avec alliances internationales, nous n’avons pas beaucoup de champions nationaux qui répondent à cette définition.
En ce qui concerne le secteur privé, j’ai du mal à identifier une logique industrielle dans les ensembles créés au début des années 2000. Ils sont certes présents dans les activités industrielles, mais agissent davantage dans une logique financière, d’entrée et de sortie en fonction de la rentabilité de telle ou telle opération. Ils ne sont pas des champions comme moi les considèrent comme un levier de transformation de l’économie. Les Sud-Coréens, par l’intermédiaire des Chaebols, étaient plus dans une logique industrielle que financière et portés par l’État. Et ils ont réussi à transformer leur économie.
Dans le public également, je ne vois aucune possibilité de créer des champions industriels nationaux. Cela reflète la faiblesse de notre tissu industriel, qui est principalement composé de PME. Si nous voulons construire de véritables champions nationaux, nous devons d’abord aller vers la création de sociétés de taille intermédiaire, en soutenant le transfert de capitaux au sein de la société marocaine.
Vous ne pouvez construire des champions que lorsque vous avez des entreprises de taille moyenne fortes à la fois sur le marché national et international. Et qui s’inscrivent dans la logique du rapprochement avec les leaders mondiaux.
Je ne vois donc pas aujourd’hui ce groupe de entreprises dans le but de créer des champions nationaux. Dans le domaine de l’énergie, vous pouvez créer un leader marocain. Cela vaut également pour les infrastructures. Mais la notion de champion national dans sa double dimension nationale et internationale, et dans sa dimension de transformation industrielle, est toujours absente. Nous en sommes encore loin…
— Ces fonds publics, pensez-vous que l’ouverture de leur capital au secteur privé peut apporter un plus à l’action de l’État, sans aller vers une privatisation totale ?
C’est sûr. Une société ouverte ne signifie pas que l’État détient 100 % de son capital ou qu’il y détient une majorité. Il suffit qu’il y ait une minorité de blocage. L’essentiel est que la logique de l’État prime dans les orientations, la stratégie. Et s’il y a cette possibilité d’ouverture au privé, elle serait bénéfique sur deux fronts.
Le premier est de garantir des fonds propres suffisants à ces entreprises, car l’État ne peut pas continuer à injecter indéfiniment de l’argent dans ses structures… Deuxièmement, il y aura un effet d’apprentissage réciproque entre le privé et le public.
Il y a donc plusieurs avantages à ce que cette ouverture se fasse en privé. Mais cette ouverture doit se faire de manière transparente, avec des normes de contrôle et d’évaluation. Cela ne doit pas être fait pour partager des marchés et mettre en place les obstacles à l’entrée pour les autres joueurs. Cela nous ramène une fois de plus à la question de la réglementation et de la concurrence, qui sont extrêmement cruciales pour réussir cette réforme du secteur public.